L'ascension
du Djebel Sabir (voyage effectué au Yémen en octobre
1997) La visite de l'antique capitale, plus de 3 fois millénaire est programmée à notre retour prévu d'ici 4 à 5 jours. Pour l'heure, nous voilà donc au pied du Djebel Sabir qui culmine à plus de 3000 mètres au dessus de Taez, deuxième ville du pays. |
Fenetre sur les toits de Saana |
Notre
périple a commencé au nord de Sana'a, sur les
hauts plateaux de la région de Shibam, puis nous a conduits,
par la région de Manacka aux villages en nids d'aigle
perdus dans les nuages, avant de nous conduire, par la magnifique route
goudronnée du Ouadi Shiham, dans la plaine de la Tihama
(la plaine chaude en arabe)qui borde les rivages de la Mer
Rouge, désert côtier aux villages de pêcheurs
faits de huttes africaines. Les
organismes commencent déjà à ressentir la fatigue
de la piste ; la chaleur terrible, la tôle ondulée
et les bancs de fesh-fesh de la Tihama ont relativement
entamé les ardeurs. Le menu de la journée s'annonce
copieux avec en entrée une ascension somme toute très
courte, à peine 20 kilomètres, qui ne saurait
cacher un dénivelé effrayant d'un peu plus de
2000 mètres.
Dès
les premiers hectomètres c'est l'enfer ! La pente
est impressionnante, sûrement plus de 15% et les roues de
nos VTT vont se butter au fond des ornières creusées par
les bulldozers ; de plus la journée est déjà
bien avancée et la chaleur est suffocante. Qu'est-ce que
je fous là ?…A peine 20 minutes que nous pédalons
et on n'a pas du faire plus d'un kilomètre !.. .
Et ce soleil qui tape, qui tape ! Je suis mal, envie de gerber,
je me calme, lève un peu le pied…j'ai du partir trop vite :
tout de suite dans la côte, je n'ai pas eu le temps de me
chauffer. Les copains ont déjà pris le large, au détour
d'un virage j'en aperçois deux (Christian et Jean-Marie)
un peu plus haut, à 150 ou 200 mètres, les deux autres
(Jean-Yves et Alain) ont déjà disparu, de vrais grimpeurs.
Déjà 1 heure que nous montons. J'ai un peu repris mon souffle et au fil des lacets, le moral remonte proportionnellement à l'altitude que nous commençons à prendre. La route domine maintenant la ville et le paysage est magnifique. Par contre, la pente est toujours aussi raide, mais par endroits, la piste en meilleur état facilite un peu la progression …Enfin, n'exagérons rien, ça reste du « velu » ; heureusement que la chaleur est un peu moins étouffante en prenant de l'altitude : une légère brise rafraîchit un peu l'air, ça devient respirable !
Après quelques minutes d'arrêt dans cette misérable auberge, il nous faut repartir car ce matin nous avons à peine effectué la moitié de l'ascension, il nous suffit pour nous en convaincre de lever les yeux vers le sommet de la montagne qui pour l'heure, nous est toujours invisible. Nous reprenons notre chemin de croix ! La piste est de plus en plus carrossable en s'élevant, le relief semble s'adoucir un peu et les pluies ont manifestement moins eu d'effets dévastateurs sur le haut de la montagne. En petit peloton, la montée paraît un peu moins dure et plus nous grimpons, plus la montagne s'avère être habitée, les maisons s'égrènent au long de la piste de manière presque discontinue. Au fur et à mesure que nous avançons , des groupes d'enfants nous accompagnent et semblent se passer le relais au détour de chaque lacet de la piste ; plus nous avançons, plus ils sont nombreux à tel point que par moments il nous faut nous frayer un passage entre deux haies humaines criantes et riantes « belek, belek ! » Alain en profite pour se détacher du groupe, encouragé par cette troupe bruyante de supporters inattendus ; pour peu, nous nous croirions dans l'ascension d'un col du tour de France…
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L'équipe sur la rive de la Mer Rouge |
Encouragés par ces fans turbulents, sans nous en rendre compte, nous parcourons une dizaine de kilomètres et vers 16 heures nous pouvons enfin apercevoir le sommet du Djebel Sabir couvert d'une forêt d'antennes militaires. Sous nos yeux la vue embrasse les montagnes de « l'Arabie Heureuse » aux 4 points cardinaux. Le
soleil commence à décliner et la montagne est baignée
d'une douce lumière diaphane. Nous pouvons enfin mesurer
l'ampleur de notre ascension, la ville de Taez nous apparaît
comme vue d'avion et tout autour de nous s'étalent, dans
un écrin de verdure, les cultures en terrasses soutenues
par un impressionnant réseau de murs de pierres parfaitement
appareillées, et une multitude de maisons avec leurs citernes
d'eau à ciel ouvert. On en oublierait presque la fatigue !…
Mais il nous faut repartir car selon Djamil, nous avons encore au moins
3 kilomètres avant d'arriver au sommet et malgré le
relatif bon état de la piste sur les derniers kilomètres,
ça monte toujours fort et on commence à en avoir un peu
« plein les pattes… » Le rythme a à nouveau
ralenti et il nous faut puiser au fond de nous-mêmes pour aller
au bout de ce chemin de croix. Peu avant la fin de l'étape,
nous rejoignons Alain parti devant peut-être un peu trop fort… Après bien d'émotion et de fatigue, nous voici enfin au terme de notre ascension ; on a vaincu le Djebel Sabir ! On l'a fait ! Qui d'entre nous aurait pu imaginer pareille montée ?…Depuis que nous roulons nos crampons aux 4 coins du globe, on n' avait jamais vu ça, pareil dénivelé sur une aussi courte distance dans des conditions aussi difficiles. En plus on ne pouvait se douter que les deux jours suivants seraient aussi durs si ce n'est pire !…Le Yémen, c'est quelque chose d'incroyable, un pays de montagnes à l'image de ses habitants : magnifiques et rudes…si ce n'est le contraire !…Quelle récompense fantastique d'être arrivés jusqu'ici gratifiés d'un fabuleux coucher de soleil, félicités par un vénérable chef de village admiratif, qui confiait à Djamil, que : « nous devions être immortels pour être arrivés jusqu'en haut au guidon de nos machines ! » ; le vieillard n'avait paraît-il encore jamais vu de vélo grimper sur sa montagne… Le
bivouac installé à quelques mètres de la mosquée
du village de Dar An Nasr est bien vite envahi par un groupe
d'enfants qui nous tiennent compagnie tard dans la soirée,
et au son de la radio criarde du 4x4, nous initient, l'ambiance
aidant , à la danse rituelle des Djambies (poignard à
la lame recourbée que tout Yéménite adulte arbore
fièrement à la ceinture). Ce soir la nuit sera belle,
une fois de plus et malgré les crampes, les jambes et le dos
éreintés de fatigue nous nous endormons, inscrivant
à tout jamais dans nos mémoires, ces intenses moments
de bonheur. Au
Yémen , tout est aventure : déjà l'arrivée
de nuit dans la vieille ville de Sana'a aux rues boueuses
et mal éclairées, les façades des maisons-tours
qu'on devine plus qu'on ne voit, trahies par des dizaines de
vitraux colorés éclairés par de faibles lumières,
tous ces éléments qui font un spectacle inoubliable, on
déambule dans un conte de Mille et Une Nuits. |
Jardin et maison tour de Saana |
Simplement
se déplacer à bord d'un vieux 4x4 transformé
en taxi, rafistolé, sans
freins, les pneus usés jusqu'à la corde sur des routes
de montagnes défoncées, aux précipices vertigineux,
avec au volant un farouche Kabili ruminant son Qat, la
Kala bien en vue sur le tableau de bord ,et la radio à
fond, peut vite s'avérer une véritable aventure. Passer
la nuit dans un funduk (hotel) à deux pas d'une mosquée
ou manger dans une gargote (on choisit souvent sa grillade sur pieds,
cette dernière bêlant craintivement dans l'enclos attenant
à la terrasse du resto dans l'attente du sacrifice!)
laisseront mille et un souvenirs impérissables. Sans oublier
bien sur l'incomparable variété de paysages, de merveilles
architecturales ou artisanales et l'accueil des populations bien
réel, parfois malheureusement terni par les rares incidents qui
émaillent l'actualité. Voyager au Yémen, à pieds, en voiture ou en vélo c'est remonter le temps : tout est ici émotion, émerveillement, étonnement ou dépaysement de chaque instant.
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